
Chronique 1
Par Mickaël Le Bouëdec
Chronique 1
Le chien décrocheur
Le lac a baissé. Beaucoup. Les mises à l’eau d’embarcations sont désormais impossibles. J’approche du bord boueux avec précaution. Je n’ai pris qu’une seule canne car je ne cherche qu’un seul poisson. Si erratique poisson. Le plus difficile étant toujours de trouver le premier. Les eaux commencent à peine à refroidir. J’ai avec moi une longue canne pour lancer loin mais assez sensible pour sentir chaque anfractuosité du sol et la moindre tape ou aspiration. Un moulinet léger, un 2500 muni d’un frein suffisamment puissant. Une tresse fine en 8 brins, un bas de ligne en fluoro de 24 centièmes et de bonne famille. Je commence avec une tête plombée grise (j’accorde de plus en plus d’importance à la couleur des TP), un finesse rose pailletée, j’aurai changé quatre fois de combinaison de couleur et de taille en 1 heure. Mon chien s’ébroue et prend un plaisir certain à s’enfoncer dans les boues fraiches du lac. Heureusement que je ne pêche pas les bordures aujourd’hui !
Voici la combinaison du jour qui aura permis cette chronique : une TP blanche de 7 g, une jupe de silicone rouge et blanche, un souple écrevisse.
Je lance, je décompte toujours la descente, mon père m’a appris à compter, dans le bief de pêche familial, l’hiver venu, c’était jusqu’à 7 afin de s’assurer d’être au plus près de la cassure sans l’atteindre tout à fait. Toutes les eaux sont désormais un multiple de 7.
On ne pêche jamais qu’en répétant la première fois. Ici c’est le double, ici je laisse descendre profondément. 14…
Je suis loin, il faut donc que je récupère le contact, je le fais brutalement et rapidement. Je veux brasser de l’eau, je veux signaler la présence du leurre puis tout aussi subitement, je laisse choir. Longtemps. Je prends le risque. De me poser autour d’une branche ou dans le pli d’une pierre d’ardoise qui tapit ici le fond. Il faut prendre ce risque si c’est bien le sandre que vous cherchez. Le retour jusqu’au bord du leurre ne se fait qu’à ce prix et pourtant c’est devenu si dur pour un pêcheur d’aujourd’hui que de ne rien faire que … L’attaque est lourde, franche, déterminée. Dans les premières secondes, le doute est encore permis, cela pourrait encore être un brochet, une grosse perche mais la sourde détermination, les coups de tête qui ne s’éparpillent pas en fulgurantes tractions mais en un bras de fer continue signe la présence à venir du sandre du fond des eaux.
Le voici déjà dans la lumière qu’écrase les reflets du capot. Il est lourd et sombre. On voit souvent les sandres comme des poissons lumineux parés d’or. J’aime d’ailleurs les peindre ainsi, habillés de lumière. Pourtant, je suis surpris toujours de la couleur de celui-ci, il est d’abord noir, puis vert, puis marron et enfin jaune dorée. Il pose sa tête sur une pierre malheureusement résigné quand jaillit un chien joueur et d’un coup de museau lui donne la bonne impulsion pour se décrocher de l’hameçon simple qui le relie à moi. Il compte à son tour jusqu’à 7 pour rejoindre sa sombre tanière. Il a raison car ici le soleil va percer. Mon chien court après d’autres oiseaux, nous rentrons.