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Poisson sous l'eau

Chronique 2

Par Mickaël le Bouëdec

Je suis PRÊT

Je me suis couché de bonne heure. Je suis PRÊT. Les cannes sont dans la voiture. Les waders sont sur la banquette arrière. Les leurres ont été patiemment sélectionnés. Je suis prêt.

J’ai vérifié l’itinéraire. Une fois puis une deuxième. J’ai prévu de commencer avec un gros jerk – mon « Jerk Bras » coloris carpe – puis de descendre dans la couche d’eau au fur et à mesure. Je vais même porter une seconde canne dans le dos pour pêcher plus fin si la pêche s’avère difficile. Je suis prêt. S’il le faut, je badigeonnerais mes leurres avec un attractant. J’en ai de deux sortes. Un dans la poche de droite et l’autre à gauche. Mes nœuds ? Bon… je vérifie mes nœuds et finalement je les refais. Je les refais une nouvelle nouvelle fois. Je suis prêt. J’ai tout en double et je suis enfin sur ce parking que j’ai l’impression de bien connaître. J’ai tellement imaginé en détails cette partie de pêche que je fais tout très vite. Allez ! hop hop hop !

Désormais, je suis PRESSÉ.

Toutes breloques s’entrechoquant à chaque pas, je porte sur moi la moitié de tout le matériel d’un bon détaillant de pêche et, fier comme Artaban, je m’approche, quasi victorieux, du plan d’eau. Je suis pressé. L’étang lui-même semble impatient que je rentre dans l’eau, comme prévu.

Moi je n’en puis plus d’avoir été si longtemps prêt pour ce moment.  Alors hop hop hop. Ni une ni deux, mon gros jerk de 80 grammes fend déjà l’air et retombe lourdement à 30 mètres devant moi. Je suis pressé et le vacarme de ce premier lancer a tiré de leur torpeur canards, pigeons, choucas, hérons cendrés, rats musqués et toute la petite famille des batraciens. Tout le monde sait bien désormais que je suis PRÊT !

Le leurre ne fait pas 5 mètres dans l’eau qu’il est stoppé lourdement. Au tout premier coup de ligne, je ferre un très gros poisson, un rush vers la bordure et je me rends compte, stupéfié, que j’ai oublié de régler le frein de mon moulinet, je n’ai pas eu le temps de le régler, je ne suis pas prêt, le poisson file sur moi, je ne suis pas prêt, cette violente percée crée une bannière molle, je dois vite reprendre contact, je ne suis pas prêt, je sers comme je peux l’étoile de frein de mon moulinet casting. Je le fais à l’envers puis à l’endroit. Je fais tout mal. Je devine dans le remous un brochet immense, il faut pourtant que je sois prêt à l’épuiser mais mon épuisette n’est pas du tout là où elle devrait être. Je ne suis PAS mais PAS DU TOUT PRÊT ! Pendant que je cherche à tâtons, maladroitement, désespérément, rageusement, en plein milieu du dos, la poignée de l’épuisette emmêlée avec ma deuxième canne, le brochet prend appui sur une branche et se décroche sans omettre de me montrer sa caudale en guise de pied de nez. Lui, il était PRÊT.

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